Il était une fois la Princesse Tête-en-l’Air. Elle était assez jolie et un peu barrée, mais, comme son nom l’indiquait, franchement dans la lune.
Bon. Il se trouve que la Princesse avait rencontré un Prince qui habitait dans un royaume voisin, du genre que tu y passes avec tes sabots tontaine, avec tes sabots. Personne n’est parfait.
A la fin du mois terrible qu’est décembre, la Princesse alla passer quelques jours impromptus dans le château du Prince. Au matin du départ, la Princesse regretta d’avoir tant profité des doux breuvages que les comtes et les fées du royaume avaient apportés au festin de la veille. Bravant le brouillard de ses neurones, la météo hostile et les grognements du Prince qui l’incitait à rester encore un peu, elle sortit courageusement du lit, puis du château, et se dirigea vers les écuries municipales. A peine le temps d’embrasser le Prince, la voilà qui courrait à travers les galeries, un œil rivé sur la montre, l’autre sur l’affichage électronique. Ce fut moins une, mais la Princesse réussit à attraper son cheval-vapeur électrique avant qu’il ne démarre sa course folle. Ben oui, parce que le lendemain, c’était l’anniversaire de Jésus, et l’anniversaire de Jésus, ça se fête avec le Roi, la Reine, les deux autres Princesses et Prince Junior.
Epuisée par tant d’agitation dès les premières lueurs de l’aube, la Princesse s’assoupit pendant son voyage. Elle fut tirée de ses rêves par des grésillements : « Mesdames, Messieurs, Princesse, vous êtes en gare de S., S., CHATEAU DES PARENTS DE LA PRINCESSE ALORS REVEILLE-TOI FEIGNASSE ». D’un bond, elle se leva de son siège, attrapa son sac, son manteau, son journal, son appareil photo, pour atterrir sur le quai juste à temps.
Une fois au Château, la Princesse déballa ses affaires, et là… Horreur! Malheur! Impossible de mettre la main sur son beau chapeau rose un peu fuschia, hyper-tendance rétro années 40 qui lui flattait si bien la silhouette !!! Immédiatement, la Princesse envoya un pigeon voyageur au Prince : Salu ya mon chapo dan ta kS? lé oublié dan tr1 je croi fé chié. te kif. Mais le Prince ne retrouva pas ledit couvre-chef, ni dans son carrosse, ni dans son château.
Alors la Princesse affronta le monstre : la SNCF… Une lecture diagonale de l’annuaire lui indiqua qu’il n’y avait pas de numéro pour les objets trouvés, mais que pour tout service, elle pouvait contacter leur numéro azur, le 666.
« 666, Bonjour, vous êtes sur le serveur vocal de la SNCF. Bla bla bla bla. Si vous connaissez le mot-clef correspondant à votre demande, dites le maintenant…
- Ben non je connais pas le mot-clef
- Je n’ai pas compris votre demande.
- Forcément, connasse, je t’ai rien demandé encore !
- Je n’ai toujours pas compris votre demande.
- Mais oui je sais !!! Tu m’emmerdes.
- Je suis désolée, je ne peux pas répondre à votre demande. 666, Bonjour, vous êtes sur le serveur vocal… »
Renonçant à la lutte avec la femme-robot, la Princesse demanda à la Reine de l’accompagner à la gare ! Une fois que le pré-ado et sa mère post-élégante qui squattaient le guichet eurent obtenu le taux exact de formaldéhyde contenu dans la moquette du siège qui accueillerait l’auguste cul de l’enfant à boutons pendant son trajet Mulhouse-Strasbourg via Marseille, triple correspondance, couchette orientée plein Sud si vous prenez l’option boissons chaudes, la Princesse pu s’approcher de l’hygiaphone et de la personne démodée qui trônait derrière.
« Bonjour, j’ai perdu mon chapeau ce matin…
- Oui alors il faut téléphoner…
- Euh, ben, euh, c’est-à-dire que, le serveur vocal, il me veut du mal, vous voyez…
- Oui alors il faut voir avec le chef de gare. »
« Bonjour, j’ai perdu mon chapeau ce matin…
- Oui alors là faut vous adresser au guichet.
- C’est elle qui m’envoie (miel dans la voix).
- Oui alors faut téléphoner.
- NOOOOON ! pas la femme-robot, pas la femme-robot, pas la femme-robot, pas la…
- Oui alors je vous donne le numéro des objets trouvés.
- Dieu vous le rendra au centuple dans votre prochaine vie. Vous aurez la retraite à 25 ans avec des agios, et vous serez payé les jours de grève. »
03 666 666 666
« Objets trouvés bonjour.
- J’ai perdu mon chapeau ce matin…
- Faut demander au chef de gare de votre gare.
- C’est lui qui m’envoie (miel dans la voix).
- Bon. Il est comment votre chapeau ?
- Il est hy-per-gé-ni-al. Il est rose tirant sur le fuschia, voyez, de forme cloche, en feutre de laine, avec un petit ruban un peu plus foncé ton sur ton et un petit nœud sur le côté, très rétro année 40 mais en même temps franchement tendance. Vous l’avez ?
- Rose…. ? Ah non, j’ai pas non. Il faut faire une déclaration de perte écrite en trois exemplaires sur le formulaire que vous trouverez au guichet de la gare la plus proche..
- Euh… Joyeux Noël. »
14 janvier. La Princesse se rend à la Grande Gare de la Grande Ville.
« Bonjour, j’ai perdu mon chapeau en décembre…
- Et beh s’il est rose comme vos gants on va le retrouver, hein ha ha ha ha !
- Ca tombe bien alors, parce qu’il est rose comme mes gants !
- Naaan !!! En VRAI ? »
Pendant que la Princesse réprime un commentaire sur le rouge criard de l’uniforme de l’apprenti-agent du service public, ce dernier compose le numéro interne des objets trouvés :
« Ouais, c’est Simplet, de l’accueil. T’as un chapeau rose, euh… fuschia fluo ? Il est en quelle matière, Madame ?
- En feutre de laine
- Ouais, en feutre, tu vois, dessiné, quoi arf, arf, arf (sic). Bon eh, Madame, allez directement aux objets trouvés, ce sera plus simple.
- C’est où ?
- Ben vous prenez à droite, le hall, vous contournez la boulangerie, vous sautez trois fois à pieds joints en évitant les pigeons, vous dépassez le panneau « interdit si vous n’avez pas de billet composté sous peine de mort lente, atroce et douloureuse », vous prenez l’escalator en panne à contresens, vous arrivez devant deux portes rouges, à vous de trouver la bonne, vous sonnez en dansant la carioca, et c’est là. »
Au terme de démarches dont on passera les détails sous silence (un formulaire a été impliqué) auprès d’un agent, il faut le reconnaître, fort aimable, la Princesse ressortit bredouille…
Et là, lecteur, à toi d’influencer la fin. Que doit faire la Princesse ? Abandonner ? Profiter des soldes pour racheter un chapeau, moins beau, certes, mais réel ? Faire acte de contrition et se geler les oreilles en répétant « je suis tête-en-l’air, je suis tête-en-l’air » ? Penser que c’est encore possible ? Répond vite, il neige…